Silver économie et développement des technologies de maintien à domicile : Mythe ou réalité?

Chronique de Frédéric Serrière, un avis d'expert qui donne un éclairage sur les difficultés rencontrées par les nombreux acteurs qui se lancent à la conquête du Graal de la Silver Economie

Publié le 27 septembre 2015

Pourquoi les technologies actuelles de maintien à domicile auront du mal à se développer avant 2022

Par Frédéric Serrière, Septembre 2015

Les gérontechnologies sont souvent définies comme les technologies qui facilitent le maintien des personnes âgées à domicile ou dans les établissements : objets connectés, solutions actimétrie... Ces innovations foisonnent dans l'univers de la Silver Economie et reçoivent un bon écho dans les médias et les conférences.

Or les acteurs qui ont commencé à commercialiser ces solutions affichent souvent des volumes de ventes assez faibles : quelques centaines d'unités à quelques dizaines de milliers d'unités par an, loin des seuils industriels alors qu'il y a 1,5 millions de personnes dépendantes et 4,5 millions de personnes âgées fragilisées.

Plusieurs raisons expliquent cette situation :

Des technologies trop liées au handicap et à la perte d'autonomie

Une grande partie des innovations technologiques pour le maintien à domicile est très fortement liée à la perte d'autonomie et au handicap. Ce sont des technologies fortement « générationnelles » et souvent stigmatisantes qui ciblent les personnes âgées. Elles n'offrent que très peu d'intérêts pour des Seniors autonomes et pour les plus jeunes générations. Ces dernières auront tendance à les refuser même si des astuces sont développées comme un design plus moderne ou universel. Un produit pour les personnes âgées quelques soit son look -reste un produit perçu pour les personnes âgées.

Une rupture technologique vers 75 ans et des incohérences générationnelles technologiques

Une rupture technologique majeure est visible vers l'âge de 75 ans (facteur générationnel et évolutif) avec des variations en fonction, notamment des CSP et des lieux d'habitation. Par exemple, les taux d'équipements à Internet chutent fortement après 75 ans. Or beaucoup d'innovations technologiques de maintien à domicile sont basées sur les usages des moins de 70 ans et non pas sur les usages de leur cible, les 80 ans et plus. C'est comme proposer des consoles Game Boy ou Nintendo à des adultes, le marché reste limité.

Des temps d'acquisition trop longs

De nombreuses innovations demandent des temps d'acquisition et d'apprentissage très longs au regard des âges des personnes âgées. Même les jeunes mettent, en réalité, plusieurs mois à maîtriser une tablette parfaitement. Il est alors difficile de demander à une personne de 80 ans et plus d'en faire autant. Les technologies qui se développeront seront celles qui proposeront un service d'assistance évolué (mais quid du coût ?) et principalement celles qui seront basées sur des usages déjà présents chez les Seniors.

Le nombre de personnes de 80 ans et plus quasi stable d'ici à 2022

Une donnée démographique est souvent négligée ou pas vraiment considérée par les offreurs d'innovations de technologies de maintien à domicile. Pourquoi le nombre de personnes dépendantes est-il presque stable depuis 2007 et le sera jusqu'en 2022 pour ne progresser fortement qu'ensuite ? La raison est simple : le nombre de personnes âgées de 78 ans et plus est quasi stable entre ces dates. La progression du nombre des Seniors provient de la génération des Boomers dont les plus âgées ont - seulement - 70 ans et sont encore bien loin d'avoir besoin d'assistance à domicile.

Une culture faible de prévention = procrastination

La France ainsi que les pays du sud de l'Europe n'ont pas une forte culture de prévention. C'est pour cela, que les Seniors s'équipent de solutions de maintien à domicile qu'après l'avènement d'un incident important et rarement en amont pour l'éviter. Cette procrastination réduit fortement les potentiels des marchés de ces innovations. Et le design universel et les looks plus modernes ne changent pas fondamentalement la donne. Tant que les usages de ces innovations n'intéressent pas d'autres générations plus jeunes, ces innovations seront toujours perçues comme pour des personnes en perte d'autonomie.

Les appels d'offres publiques contraints à des budgets contrôlés

Le secteur des technologies notamment celui de la téléassistance est en partie soumis aux appels d'offres publiques des villes et des départements. Or, nous savons que ces collectivités ont des budgets contraints. Alors que les budgets pour une téléassistance pour une personne par mois étaient de 15 à 20 euros il y a encore quelques années, il n'est plus rare qu'ils descendent en dessous des 10 euros. A ce prix là, la grande majorité des innovations sont complètement hors budgets.

Les enfants Boomers soumis à leurs parents âgés aux besoins très différents.

Beaucoup d'acteurs essaient de proposer leurs solutions aux personnes âgées via les enfants qui sont, pour certains, des aidants. Cette stratégie se révèle difficile parce que ces enfants sont souvent soumis à leurs parents âgés. C'est un facteur générationnel : la génération des parents a toujours été charismatique. Les aidants expliquent qu'il leur est très difficile d'imposer ces technologies, mais aussi des aménagements du logement, à leurs parents qui les refusent souvent. De plus, la plupart des solutions technologiques répondent aux besoins des aidés, mais plus rarement à ceux des aidants ce qui n'incite pas ces certains à les proposer.

Les Boomers encore jeunes

La génération qui va pousser au développement des innovations technologiques de maintien à domicile est les Boomers qui ont entre 55 et 70 ans, en 2015. Ils sont dans leur grande majorité totalement autonomes et n'ont pas besoin de solutions de maintien à domicile. Bien-sûr, quand les Boomers déménagent ou améliorent leur habitat, ils attachent de l'importance à leur avenir sans installer, pour le moment, des solutions de maintien à domicile.

Des solutions qui ne réduisent pas les coûts

Proposer des innovations technologiques qui permettent de réduire les coûts de fonctionnement des établissements de santé et « maisons de retraite » est nécessaire. Or, beaucoup de solutions actuelles proposent un mieux-être pour les résidents mais engendre des suppléments qui ne sont pas finançables ni par les résidents, ni les familles et encore moins par les établissements.

Les financeurs des gains de coûts ne sont pas - nécessairement - les bénéficiaires de ces gains

Plusieurs innovations ont prouvé leur capacité à réduire les coûts, soit de fonctionnement, soit de santé. C'est par exemple, le cas des systèmes qui détectent un souçis de santé à distance, très en amont avant qu'il ne soit plus grave. Ainsi des coûts pour la Sécu peuvent être évités. Cependant, les financeurs qui pourraient, actuellement, proposer ces solutions (départements, caisses de prévoyance...), ne bénéficient pas forcément des économies réalisées. Par exemple, si des systèmes d'alerte à distance sont installés par les départements, c'est souvent la Sécu qui bénéfice des gains. Ainsi, c'est l'organisation de l'ensemble du système qui peut bloquer l'environnement de ces solutions technologiques.

Quelles solutions permettraient-elles d'accélérer le développement de ces innovations à plus court-terme ?

Plusieurs solutions pragmatiques existent : par exemple, une d'elles consiste à proposer des innovations avec des bénéfices pour plusieurs générations ou plusieurs publics cibles et non pas seulement pour les personnes âgés. Autrement dit, passer d'un positionnement générationnel/générationnel à un positionnement générationnel/intergénérationnel (voir la matrice Com/Gi).

Frédéric Serrière

www.fredericserriere.com


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